Souvenir de mon passage à la Saharienne (1946-47)

  Colonel (H) ARNAUD Jean-René

                                     
                         
 

Muté au 45 ème Régiment de Transmissions, à MAISON-CARREE, j'embarquais à Marseille le 30 novembre 1946 sur le "Gouverneur Général CHANZY" qui me déposait le lendemain à ALGER.

 

Après quelques jours d'attente passés au Bordj de Maison-Carrée, afin de permettre  le regroupement du renfort destiné à la 1 ère Compagnie Saharienne de Transmissions de COLOMB BECHAR, nous prenions le train à ALGER, le 9 septembre 1946. Ce voyage de plus de 1000 km, devait s'effectuer en deux étapes:

    - une première de 300 km, d'ALGER à PERREGAUX, petite ville de la plaine du CHELIF et carrefour ferroviaire, tête de ligne du Sahara.

    - une seconde, de PERREGAUX à COLOMB BECHAR, de plus de 700 km.

 

   
                         
Le "Train des voleurs"    
 

Si la voie ferrée du premier tronçon était normale, il n'en était plus de même pour le second. En effet, pour aller dans le sud, il s'agissait d'une voie métrique avec un petit train, genre ceux du Far West, qui ne circulait que deux fois par semaine. Une locomotive à vapeur poussive avalait un charbon poussiéreux des mines de KENADSA. Elle tirait tant bien que mal, huit à dix wagons de 1 ère, 2 ème et 3 ème classe. Wagons en bois, avec une petite plateforme à l'arrière, mais wagons surpeuplés par une foule bruyante et bariolée, encombrée de colis de toutes sortes. Après avoir franchi, en une nuit, les contreforts de l'Atlas, il filait bien à 60 km/h dans les grandes immensités plates du CHOTT ECH CHERGUI.

Mais combien de haltes nous avons dû subir, en plein désert, pour refaire le plein d'eau de la machine? A chaque arrêt, nous avions l'impressions d'être en plein marché. Une foule de vendeurs d'eau, de dattes, de gâteaux arabes, de volailles, de couvertures offraient leurs produits aux voyageurs. Sous une chaleur accablante, les marchandages allaient bon train.

 

                 
       

COLOMB BECHAR

Le Ksar

   
                 
                                     
 

Partis vers 22 heures de PERREGAUX nous arrivions le lendemain vers 16 heures à BECHAR, après avoir copieusement sué aux haltes de plus d'une heure à MECHARIA, AIN SEFRA, BENI OUNIF et j'en passe. Depuis notre départ d'ALGER nous venions de vivre plus de 24 heures harassantes durant lesquelles nous avions monté la garde dans notre compartiment, à tour de rôle, pour éviter que nos affaires ne disparaissent. En effet, dans ce petit train, surnommé le "train des voleurs", envahi par une population indigène très à l'aise, nous avions côtoyé l'aventure.

Arrivés à BECHAR, nos surprises ne faisaient que commencer. C'est à pied, le sac marin sur l'épaule que nous avons dû rejoindre le petit bordj qui servait de casernement à la Compagnie. Là, pas question de nous doucher, l'eau n'était distribuée qu'aux lavabo collectifs, deux fois par jour, le matin, de 7 à 8 heures ainsi que de 12 à 13 heures, pour faire le plein de nos gourdes.

 

Pour nous permettre de nous décrasser plus correctement, nous avions l'autorisation d'aller, une fois par semaine au bain maure. Durant une petite heure nous cuisions dans ce hammam aux dalles ruisselante d'eau chaude. Mais quelle sensation de fraîcheur nous éprouvions à la sortie, malgré les 30° de l'extérieur.

 

A BECHAR, en 1946, il n'y avait pas de réseau de distribution électrique. L'éclairage était réalisé à partir de lampes à pétrole ou à l'acétylène. Dans chaque chambre nous avions une de ces lampes et nous percevions chaque jour notre ration de carbure à l'odeur nauséabonde. Evidemment il n'y avait pas de chauffage bien que les nuits soient très froides avec un thermomètre qui bien souvent marquait zéro degré.

A chacun de se débrouiller pour faire ou faire faire ses repas.
 

Il n'y avait pas de mess de Sous-Officiers ni d'ordinaire à la Compagnie. A la Saharienne il n'y avait pas d'appelé. Les seuls hommes de troupe étaient des Makhzens sous contrat qui touchaient le prêt franc. Une fois par mois nous percevions des vivres crus : pâtes, riz, légumes secs, café, sucre, farine, conserves de toutes sorte, huile, vinaigre etc... etc... A chacun de se débrouiller pour faire ou faire faire ses repas. La solution adoptée par les célibataires consistait à donner à un restaurateur tous ses vivres crus, à charge pour lui de vous prendre en pension moyennant évidemment une redevance pour la cuisson et le service.

On imagine facilement que l'établissement qui acceptait un pareil troc ressemblait plus à une gargote qu'à un restaurant. Au bout de quelques semaines, le gargotier nous expliqua qu'il n'était plus intéressé par le stock de conserves apporté par une douzaine de pensionnaires. Après tractations avec la Légion Etrangère, nous obtenions l'autorisation d'aller prendre nos repas au mess des Sous-Officiers de la Compagnie de discipline de la Légion.

Si l'ambiance y était parfois dure et électrique, nous avions des repas bien préparés. Les ragoûts de chameau ou les cuissots de gazelle y était très appréciés.

 

Pour ce qui est de l'équipement, nous avions perçu, moyennant la prime "ad hoc" : un képi bleu ciel, deux burnous, l'un blanc, l'autre bleu marine, un chèche, une ceinture de flanelle rouge ainsi que trois pièce de tissus : une kaki, une blanche et une noire. Avec ces pièce de tissus nous devions faire confectionner chez un tailleur indigène nos effets réglementaire de travail, de sortie et de défilé.

 

A notre arrivée, le renfort de six Sous-Officiers était affecté à la Compagnie de Commandement du Groupement des Unités Sahariennes de l'Ouest (le G.U.S.O.). Cette unité était commandée par un Capitaine de Cavalerie : le Capitaine SOUFFLET.

Les Transmissions avait pour Commandant le Chef de Bataillon GINEST.

 

A la mi-décembre, quelques jours après notre arrivée, nous apprenions que les Transmissions du G.U.S.O. formait une compagnie, la 1 ère Compagnie Saharienne de Transmissions, unité détachée du 45 ème Régiment de Transmissions. A cette occasion, le Général MERLIN, alors Inspecteur des Transmissions, vint à BECHAR pour présenter à la 1 ère C.S.T. le premier Drapeau du 45 R.T., Drapeau qui se trouve maintenant conservé dans la galerie des emblèmes aux Invalides.

Les Souvenirs photographiques que j'ai réalisés à cette occasion figure en bonne place dans la salle d'honneur du 45 ème RT.

 

Quelques semaines plus tard, le Capitaine des Transmissions PAILLAUD prenait le commandement de la 1 ère Compagnie Saharienne de Transmissions.

                     
       

TIMIMOUN

La danse du baroud

         
                     
Les réseaux sahariens trafiquaient de 1200 à 1800 mots par heure.
 

Malgré mon brevet de chiffreur, spécialité que j'avais pratiquée durant 16 mois à l'Etat Major du Général JUIN, malgré mon brevet de chef d'atelier de lignes fixes obtenu à MONTARGIS, je fus affecté à l'exploitation radio. Il est vrai que j'avais suivi cette instruction au 45 ème Bataillon de Transmissions à MAISON-CARREE début 1944.

 

 Je lisais alors au son à un bon 900 mots par heure. Mais les réseaux sahariens trafiquaient de 1200 à 1800 mots/heure, suivant les stations. Je reprenais donc l'instruction à outrance pour être en mesure, le plus tôt possible, d'assurer le quart.

 

Durant plusieurs semaines, j'ai eu les écouteurs sur les oreilles pour prendre les presses et suivre en doublure les différentes liaisons, avec ALGER, avec toutes les stations du réseau Ouest-saharien mais aussi avec le P.C. du réseau Est, à OUARGLA.

  Sur le réseau saharien s'échangeait aussi bien du trafic militaire toujours prioritaire mais aussi du trafic civil ainsi que météorologique. J'étais en admiration devant ces opérateurs chevronnés, de vrais professionnels, travaillant en toute sérénité, les écouteurs sur le haut du crâne, prenant tout le trafic à la machine à écrire et bavardant en même temps librement avec leurs voisins sans que cela ne gène aucunement le trafic. Les demandes de répétition étaient bien rares.
                     
            Centre Emission        
                     
Le centre d'émission avec ses grands pylônes de plus de 40 m supportant les nappes d'antennes.
 

A BECHAR, les moyens radio étaient scindés en deux centres. A 500 m du bordj, un peu à l'écart, le centre de réception avec sa centrale électrique. Au sud de l'agglomération le centre d'émission avec ses grands pylônes de plus de 40 m supportant les nappes d'antennes. Une centrale d'énergie alimentait des E.R. 26 bis, des SARAM, des C 43 (Emetteurs récents de marque canadienne). Evidemment tous ces matériels étaient télécommandés par fil depuis le centre de réception.

Chaque année avait lieu un grand rallye du Sahara occidental.
                                     
 

A BECHAR, les distractions étaient rares et simples. Une fois par semaine le marché sur la place des chameaux apportait une animation très haute en bruits, en couleurs et en odeurs. Autrement c'étaient les flâneries dans la palmeraie, le long du petit oued dont les eaux étaient retenues par une diguette. Devant la mare d'eau nous rêvassions en admirant les palmiers se refléter dans le miroir d'eau.

Fin mars 1947, faisant partie de l'équipe de tir de la 1 ère C.S.T., j'allais à BENI ABBES défendre les couleurs de la Compagnie. Chaque année avait lieu un grand rallye du Sahara Occidental, avec comme point de rassemblement : BENI ABBES. Diverses épreuves étaient disputées. D'abord et surtout une course de méharis longue de 900 km. Course de peloton partant de différents postes avec arrivée BENI ABBES. L'épreuve durait quinze à dix-huit jours. Comme autres épreuves, il y avait une course de vitesse, une course avec saut d'obstacles et une de dressage de dromadaires. En même temps se disputait le championnat de tir avec toutes les armes légères en dotation entre toutes les unités : pelotons de méharis de la compagnie de SAOURA, Légion Etrangère, Escadron du Train,Compagnie de Transmissions. Ce grand rassemblement, une fois l'an, permettait à toutes les unités sahariennes, éclatées dans tous les postes, perdues dans les immensités du Sahara Occidental, de se rencontrer. Il se terminait par une magnifique prise d'armes, clôturée par une fantasia sur le plateau dominant BENI ABBES, à peine à 500 mètres du Prieuré du Père DE FOUCAULT.

                 
   

Makhzens

en tenue de travail

et de garde

       
                 
 

En avril 1947, après avoir été jugé apte à assurer seul des vacations, j'étais affecté à la station de TIMIMOUN. Pas pour longtemps. En effet, après avoir été admis au Peloton Préparatoire à L'Ecole Spéciale Militaire Inter-Armes, je quittais la Saharienne pour CHERCHELL.

 

J'ai conservé de mon passage à la Saharienne, le souvenir d'une vie hors du temps, parce que coupée du brouhaha de notre soi disant civilisation, mais riche en expériences glanées auprès d'hommes oeuvrant tels des Compagnons du Devoirs.

               

Colonel (H) ARNAUD Jean-René

(Décédé le 18 mars 2003 à Carnoux en Provence)