MALLET Lucien, chef de poste à Bidon V, dans le Sahara
                   
           

Je suis un enfant de troupe, engagé en 1945. J'ai suivi, à Montargis, une formation à l'Ecole d'Application des Transmissions.

 

A l'issue, j'ai été affecté au 28 ème RT de MONTPELLIER.

 

Volontaire à l'âge de 18 ans, je suis parti en 1946 au 45 ème Régiment de Transmissions à MAISON-CARREE.

 

J'ai connu essentiellement l'Afrique du Nord et l'Indochine. En Afrique du Nord, j'ai fait partie d'une compagnie méhariste; j'ai, en outre, été affecté à plusieurs endroits en qualité de chef de poste.

 
           
Pouvez vous dater la période de votre séjour en Afrique du Nord?
  J'ai effectué deux séjours en Afrique du Nord. Le premier de 1946 à 1952 et le second de 1946 à 1960, à mon retour d'Indochine.
De ces deux périodes, quelle est la plus mémorable?
 

La première durant laquelle je fus chef de poste à Bidon V (Poste Maurice CORTIER), un coin perdu dans le Sahara à 500 km au sud de REGGANE. C'est là que je fus confronté aux conditions les plus difficiles. Notre travail consistait à s'assurer du passage, sur la piste, des véhicules partis auparavant de REGGANE.

     
         
De quels moyens matériels et humains disposiez-vous?
 

Notre espace vital se résumait à quatre baraques, deux pour la trans-Saharienne et deux à notre disposition exclusive: l'une abritait le local Transmissions et l'autre assurait notre cadre de vie.

 

J'avais sous mes ordres, en tant que Chef de poste, deux opérateurs radio, un caporal-chef et un caporal. J'étais moi-même caporal-chef.

Nous n'avions aucun véhicule à notre disposition: nous étions consigné sur place pour une durée de huit mois, dans l'attente d'être relevés.

Nous étions ravitaillés tous les trois mois, en vivres, en eau (à raison de 2000 litres pour 3 mois) et en bois par un camion de la trans-Saharienne.

Notre seul lien avec l'extérieur était notre outil de travail, un poste radio de type E.R. 26 bis. Il servait, en plus des liaisons que nous devions assurer quotidiennement, à passer des bulletins météo (inutile de préciser, étant donné les moyens dont nous disposions, que ces bulletins étaient extrêmement lapidaires; notre météo se faisait au doigt et à l'oeil).

 

     
     
     
Pouvez-vous nous décrire une journée type?
 

Hormis deux ou trois liaisons par jour que nous devions assurer, il nous fallait transmettre à ADRAR, à six heures du matin, un bulletin météo qui était ensuite répercuté sur BECHAR puis ALGER. Indépendamment de ces communications, nos journées consistaient essentiellement à nous protéger des fortes chaleurs. Nous restions ainsi des heures durant à ne rien faire. Heureusement, nous recevions de grandes quantités de courrier, ce qui nous divertissait.

Par ailleurs, nous avons tous subi les conséquences de la pauvreté du désert. La privation de légumes et de fruits a provoqué, par manque de vitamines,l'apparition du scorbut.

 

Nous n'assurions pas les services normaux d'un régiment, comme la montée des couleurs.

 

A propos des bulletins météo, j'ai une anecdote à raconter. Dans un poste voisin du nôtre, le personnel, sous l'effet de la chaleur et de l'alcool (ils avaient reçu, la veille, une caisse pleine d'anisette qu'ils avaient, durant la nuit, allègrement entamée) avait passé à ADRAR un bulletin météo des plus étranges, indiquant ce qui suit:

      "Météorite tombée dans la nuit à proximité du poste."

Répercuté sur ALGER, le bulletin donna lieu, de la part des autorités, à la réponse suivante:

      "Equipe de scientifiques partie ce jour pour observation sur place."

A la réception de cette nouvelle, le chef de poste ne se démonta pas et même persista:

      "Météorite partie dans la nuit sans laisser d'adresse."

Evidemment, cette plaisanterie fut jugée de mauvais goût par les autorités. Mais l'anecdote rend compte des difficultés éprouvées sur place et de la diversité des manières dont nous passions le temps.

 

Avez-vous un souvenir particulier d'un acte de transmissions?
 

Je me souviens de l'établissement fortuit d'une liaison entre REGGANE et NANCY, un jour où les conditions climatiques étaient particulièrement favorables. C'était avec un E.R. 26 bis, appareil non prévu pour ce genre de performances.

Avez-vous, là-bas, utilisé d'autres moyens de transmissions?
 

Absolument pas. Pour ma part je n'ai jamais utilisé d'autres moyens que la radio. Je n'ai d'ailleurs reçu de formation qu'à propos de l'E.R. 26 bis. La conception rudimentaire de cet appareil était bien adaptée aux liaison trans-sahariennes, en général courtes du fait d'un nombre important de relais.

Pouvez-vous témoigner d'infrastructures résiduelles d'anciens réseaux, telles les tours Chappe par exemple?
 

Je ne me souviens pas d'avoir rencontré de tels vestiges à l'exception de quelques poteaux restant entre EL GOLEA et TIMIMOUN : j'insiste particulièrement sur le fait qu'à l'époque où je m'y trouvais, la radio était l'outil exclusif des transmissions au Sahara.

A cette époque l'A.F.N. disposait-elle, à votre connaissance, d'infrastructures et de moyens relatifs à l'instruction des transmissions?
 

Il y avait au nord d'Alger, le centre d'instruction des transmissions d'Afrique du Nord (C.I.T.A.F.N.), situé à BEN AKNOUN. Sinon, il y avait, en France, le Centre d'Instruction des Transmissions à MONTARGIS, où j'ai moi-même été formé. L'instruction qui y était dispensée ne comportait aucune formation spécifique aux conditions extrêmes, sahariennes notamment (je ne fus pas davantage préparé à l'Indochine).

                   
         
         
                   
Pensez-vous que la part d'héritage du 45 ème RT relative à cette longue tradition nord africaine soit importante?
 

Pour ma part je suis particulièrement attaché au 45 ème Régiment de Transmissions et, évidemment, à travers lui, je retrouve avec plaisir ce passé saharien qui est le mien. En outre, l'Amicale des Anciens du 45 dont je suis un membre actif, me donne l'occasion de revoir mes amis qui, comme moi, ont connu ces conditions difficiles mais tellement enrichissantes. Même si la vie était très souvent dure, le fait d'être plusieurs permettait de s'épauler. C'est ainsi que se sont noués d'indéfectibles liens.

Personnellement, j'éprouve une peine immense en ce qui concerne la dissolution du Régiment et la fin de la présence militaire à MONTELIMAR. Heureusement, il me reste tous ces souvenirs relatifs à mes différentes campagnes et,surtout, le souvenir indélébile de ces moments sahariens, privilégiés: ces conditions extrêmes vous élèvent à un amour de la vie et à une humilité sans pareils......